HISTOIRE

Ferme les yeux, et souviens-toi. Souviens-toi ce que tu as été. Si tu te souviens, alors lève-toi. Sinon, meurs. Si tu ne te souviens pas, pourquoi as-tu vécu ? Peu importe ce que tu es à présent, souviens-toi.


Fuir. Où ? Peu importe. Fuir. Courir. Plus vite. Fuir.
Derrière lui, des grognements, des bêtes sauvages. Ce qu'ils voulaient ? Lui. S'il s'arrêtait, s'en était finit. Alors il fuyait. Plus loin à chaque foulée. Mais jamais assez loin. Les minutes se transformaient en heures. Ses griffes battaient le sol, ses pattes le portaient à peine. Pourtant, il fuyait. Mais ils le poursuivaient. Peu importe la distance. Ils l'auraient. Eux étaient surentraînes. Lui était trop chétif. Pourtant, la peur retournait ses viscères, le poussait à avancer. Un pas de plus était une victoire. Mais bien sûr, c'était trop peu. Il ralentissait. Bientôt, ils furent sur ses talons, à le couvrir d'injures. Pour la première fois, il ne baissa pas la tête, et continua de courir. Bondissant par dessus un tronc, il reprit un peu d'avance. Combien de temps allait-il encore tenir ? Combien de temps allaient-ils encore tenir ? Il grogna, et cessa de penser. Il n'avait pas le droit d'abandonner. Ils le voulait. Mort. Ils dévoreraient sûrement sa carcasse. Puis ils écraseraient le moindre de ses os, jusqu'à le réduire à néant. Pourquoi était-il là, à courir ? Il n'aurait pas du tenir cette promesse. Jamais. Enfin, c'était ce qu'il pensait.


« - Maman ?
- Oui, mon fils ?
- Pourquoi est-ce que tu as mal ? »


« - Maman ?
- Oui, mon fils ?
- Pourquoi papa, il est pas là ? »


«  - Maman ?
- Oui, mon fils ?
- Pourquoi tu as plein de marques bizarres sur le dos ? »


Il sortit de la rivière, une énorme truite entre les mâchoires : sa première touche !

« - Hé, Maman, t'as vu ça ? Elle me paraît succulente !
- Oui, mon fils ... »

Le sourire qui habitait ses lèvres disparut. Sa mère, sa vieille mère, paraissait si fatiguée, si lasse. Pourtant, il ne comprenait pas. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour la rendre heureuse, mais rien n'y faisait. Elle passait son temps allongée, la tête sur les pattes, à sursauter au moindre bruit.
Déposant son butin à côté d'elle, il s'assit en regardant les nuages. Depuis qu'il était petit, il aimait deviner les formes qu'ils formaient. Des fois, il apercevait un écureuil, d'autres fois un ours. Et puis, il n'avait que ça à faire, à vrai dire. Sa mère avait toujours refusé de l'emmener au campement, et il n'avait jamais vu aucun des loups de sa meute. Il ne connaissait qu'elle, et ne savait que ce qu'elle avait bien voulu lui apprendre. Mais lui, il en voulait plus ! Il avait envie de partir à l'aventure, de rencontrer des amis, de se faire des ennemis avec qui se battre un peu, et même faire des bêtises, comme voler de la nourriture au garde-manger, et aller embêter les anciens ! Mais seuls ses rêves se déroulaient d'un telle manière, alors il s'allongea de nouveau près de sa mère en pensant à de meilleurs moments.


Il s'écroula brutalement dans un glapissement aigu. S'en était trop. Ses pattes tremblantes refusaient de le porter. Et bientôt, ils furent sur lui. Pourtant, ils ne l'attaquèrent pas. L'un d'entre eux avança vers lui, le sourire jusqu'aux oreilles.

« - Alors, on arrive plus à courir ? Dois-je te rappeler à qui tu appartiens, et ce qu'il en coûte de nous fausser compagnie ? Tu es MA propriété, MA chose, MON défouloir. Tu n'as pas le droit de parler, tu n'as pas le droit de penser, tu n'as pas le droit d'émettre le moindre son ! Tu n'es qu'un objet ! Mais maintenant que j'y pense, tu es bien le fils de Linae ? Alors, on pourrait bien être plus proche que tu ne le crois ! »

Il se remit sur ses pattes péniblement, en gémissant de peur. Il avait du mal à penser, du mal à réfléchir. Il voulait fuir, ou mourir, mais que tout s'arrête enfin. Ces deux dernières années de tortures n'avaient débutées que par sa faute, et avait causé la mort de sa mère ! S'il avait respecté se promesse, s'il n'avait pas rêvé d'aventure ! Quel idiot il avait fait !

« - C'est vrai que ta mère … Était un vrai bon coup ! Bon, c'était pas comme si elle était d'accord, ne t'inquiète pas, mais c'est vrai qu'elle m'avait toujours tenté ! Et puis … Elle, au moins, elle savait tenir sa langue, et elle ne cherchait pas à fuir comme une lâche ! Tu es indigne d'être son fils ! Mais bon, vu que tu es jeune, et que j'ai envie de m'amuser, je vais te laisser courir. Je vais te laisser … Un mois. Et au bout de ce mois, soit sur tes gardes, car si je te retrouve, tu nous sers de casse-croûte ! Alors, cours ! Va-y ! Et surtout, fais très attention, la nuit, quand tu dors, car il se pourrait que tu ne te réveilles jamais ! »

Sans attendre, il prit la fuite. Une fuite qui durerait toute sa vie.